24 juin 2923
Pierre est un modéré. Il est fils d’agriculteur et il sait qu’il doit beaucoup à la République. Il participe à chaque scrutin depuis qu’il en a la possibilité. Il admet avoir une bonne situation qui, par décence, ne l’a pas conduit sur un rond point. Pour autant…
Nous sommes à Langeas, dans un joli pavillon d’à peine trois étés. L’accueil est simple, chaleureux. Pierre a fait sa carrière à la chambre de commerce et d’industrie de la Creuse. Les bureaux sont à Gueret. Pierre n’est pas un révolutionnaire, il participe activement à la vie économique de sa région tout au long d’une carrière bien remplie. Avec sa femme enseignante en français, ils élèvent leurs enfants et aujourd’hui ont la joie de s’occuper de leurs petits enfants. Quand Pierre lit sa doléance, inutile d’engager un débat pour comprendre les sous-entendus. Tout est clair, limpide.
En voici le texte. Je n’ai pas voulu extraire de passages significatifs, j’ai voulu la livrer dans son jus. Dans les doléances, il n’y a pas que l’expression de la colère, du malaise social. Il y a aussi des témoignages de citoyens qui observent que dans la pratique du pouvoir, les vieux réflexes des privilégiés ont la vie dure. Les choix idéologiques creusent un peu plus encore les fractures sociétales. Quand Pierre parle de la République, il convoque son triptyque : liberté, égalité, fraternité. Rien ne va si l’une est placée au coeur de l’action politique au détriment des autres.
« Je ne suis ni historien, ni intellectuel, ni riche, ni pauvre, ni politisé, je suis comme beaucoup, un citoyen qui m’implique dans la cité et qui vote, enfin quoi ? Un homme normal. Je voyage, je lis, je jardine, j’ai une famille, des enfants et petits-enfants, je me suis toujours satisfait d’un revenu correct, je ne me lamente pas si je n’ai pas de bateau et par solidarité je suis ravi de payer des impôts, je parle aussi quelquefois à des analphabètes, à des sans dents, je les respecte car ils ont des choses à me dire. Je me considère bien sûr faisant partie du peuple et surtout de ce peuple mal considéré, j’en suis fier et contrairement à l’idée bien-pensante, je ne veux pas être classé comme un populiste. Par ailleurs, je reconnais très volontiers que je préfère, de loin, vivre en France plutôt qu’ailleurs dans le monde, mais ce n’est pas pour autant que je trouve que tout est convenable dans notre pays, bien au contraire.
J’ai voté Emmanuel Macron dès le premier tour pour chasser cet ancien monde qui avait abandonné le pouvoir politique au pouvoir économique, à la finance entre autres… et ne s’occupait que de politique politicienne. Le discours ni gauche ni droite m’a séduit. Pour information, j’avais déjà voté François BAYROU.
Au début, j’ai voulu faire confiance aux premiers de cordée mais j’ai très vite compris que contrairement à la pratique de l’alpinisme, les gens riches ne regardaient jamais derrière et qu’ils ne seraient pas reconnaissants envers notre Président et qu’ils ne feraient aucun geste pour créer de l’emploi. Résultat, la politique menée n’a fait qu’amplifier la méthode du vieux monde et pire, le mensonge et l’arrogance ont conduit à la révolte. Pour se faire élire, on propose la suppression de la taxe d’habitation et pour la compenser on augmente les carburants au nom de la transition écologique.
Je suis fils d’agriculteur, je dois dire merci à la République qui m’a permis par l’obtention de bourses d’accéder à des études supérieures et ainsi m’offrir une situation professionnelle convenable. Aujourd’hui, retraité, je prétends faire partie de ceux qui ont une aisance modeste et donc par décence je ne porte pas le gilet jaune mais je comprends leur situation, même si je condamne les excès en tout genre. Je dois dire que je suis davantage choqué par le mensonge d’un député qui ment les yeux dans les yeux sur les bancs de l’Assemblée Nationale (En gras dans le texte).
Je pense que les gilets jaunes ont faim et ne supportent plus que les donneurs de leçons mangent trop bien. Au début du mouvement, ils réclamaient uniquement de la justice fiscale. Une réponse instantanée, digne et honnête aurait permis d’apaiser le conflit. Maintenant ils veulent davantage : un débat social et même tout changer, à l’image du RIC, de la limitation de vitesse, du mariage ouvert à tous… Toutes ces revendications sont louables mais je crains que l’on ne s’attarde sur ces demandes et que l’on ne réponde pas à la vraie question sous-entendue au début des manifestations à savoir dans quel monde voulons-nous vivre ?
Depuis 1792 et ensuite 1848, les idées de liberté et d’égalité puis de fraternité en France ont façonné un modèle de société qui a fait notre identité et notre unité. Pourquoi devrions-nous en changer pour vivre dans un modèle anglo-saxon? Je reconnais que dans la mondialisation, les riches ont tout à y gagner mais les pauvres ont tout à y perdre.
Ne sommes-nous pas encore une nation ?