Des élus tentent de faire pression sur l’État pour que les cahiers de doléances et les contributions issus du mouvement des Gilets jaunes soient véritablement versés dans le domaine public. Une promesse présidentielle non tenue.
Ce devait être un nouveau « trésor national ». Il y a cinq ans, au cœur de la crise des Gilets jaunes, les Français remplissaient 500 000 contributions en ligne et plus de 19 000 cahiers de doléances dans les communes, pour dire leur exaspération et leur attente en termes de pouvoir d’achat, de démocratie, d’accès aux services publics. Décembre 2018, les maires ruraux avaient lancé une opération « mairie ouverte » pour « écouter la colère ». Début 2019, alors que les cortèges étaient émaillés de violences, le chef de l’État leur emboîtait le pas avec la plateforme du Grand débat national. Un exercice de démocratie directe qui allait réunir deux millions de personnes, une participation inédite depuis la Révolution.
« Par chez nous, les gilets jaunes campaient au rond-point de Chamant, pile en face de l’entrepôt Amazon symbole de la mondialisation des échanges », se souvient Fabrice Dalongeville, maire (SE) d’Auger-Saint-Vincent, 500 habitants. Ici, entre Senlis et Crépy-en-Valois (Oise), la mairie n’avait pas attendu la crise des Gilets jaunes pour ouvrir un « Café citoyen » affublé de la Déclaration des droits de l’Homme. Ce « tiers lieu » accueille des concerts, une épicerie de secours, des tables pour boire un coup, jouer au Scrabble, travailler, refaire le monde. Les cahiers remplis en décembre 2018 et après « sont une matière encore vivante », estime Fabrice Dalongeville. « Mr le Président, faites un effort pour les Français qui sont dans la misère », écrit par exemple cette mère de famille.
« On sentait chez le président une grande tension »
« Début janvier 2019, Emmanuel Macron avait reçu une délégation des maires ruraux où nous devions lui remettre une clé USB avec les doléances de nos habitants. Ça devait durer un quart d’heure. Nous sommes restés deux heures. On sentait chez le président une grande tension, il cherchait comment répondre à la crise qui s’éternisait », poursuit le maire d’Auger-Saint-Vincent. « Puis Emmanuel Macron a pris l’engagement de rendre publiques les doléances dans un format open source », rappelle ce passionné d’histoire, qui a immédiatement fait le lien avec la Révolution avant de prendre une part active dans le suivi des événements. De fait, l’État s’était bien engagé à mettre en ligne contributions et doléances « progressivement et régulièrement sous licence libre. »
Pourtant, cinq ans après, les écrits qui devaient constituer « un patrimoine vivant » ne sont toujours pas accessibles au grand public. Certes, les doléances ont été versées aux archives départementales et sont immédiatement communicables en tant qu’archives publiques, excepté celles dont les auteurs sont identifiables. Sauf que les archives sont un service peu connu, dans lequel il faut se rendre physiquement, et par conséquent souvent fréquenté par les seuls chercheurs.
Seulement quatre consultations en cinq ans dans la Somme
Dans la Somme, seulement quatre personnes ont ainsi demandé à avoir accès aux cahiers abrités à Péronne. Dans l’Oise, les archives n’ont pas répondu à nos questions. Mais le résultat est certainement aussi médiocre. « Les gens ne savent pas où se trouvent les cahiers, et ils n’ont pas souvent une journée entière pour s’y consacrer », relève Hélène Desplanques, auteure du documentaire « Les doléances » où le maire d’Auger Saint-Vincent lui sert de fil rouge. Si ce n’est toujours pas le cas dans la Somme, une grande partie des doléances, près de 80 %, a cependant été numérisée. « Sur un plan technique, rien ne s’oppose à une mise en ligne », s’impatiente Fabrice Dalongeville.
Une vingtaine de députés – majoritairement de la NUPES – n’en pense pas moins. Cinq ans après le lancement du Grand débat national, ce 15 janvier, ils ont déposé une proposition de résolution transpartisane afin que les cahiers soient consultables sur internet. Pour le député de l’Aisne Jean-Louis Bricout (Liberté, indépendants), seul Picard dans ce groupe : « Les gens sont désabusés de la parole politique. » Selon lui, l’enterrement des cahiers est « un mauvais signal de plus. »
Des causeries en février à Senlis et Beauvais autour du documentaire Les doléances
Outre sa diffusion prochainement sur France 3 (Ile-de-France, Grand Est et Nouvelle Aquitaine), le documentaire « Les doléances » d’Hélène Desplanques donne lieu à une série de « causeries », treize au total. La première s’est déroulée le 13 janvier au Café citoyen à Auger-Saint-Vincent (Oise), là où tout a commencé avec son maire Fabrice Dalongeville. Pour la Picardie, deux autres sont programmées : à Senlis (cinéma) le 22 février et à Beauvais (lieu non connu) le 23 février. De la Nièvre à la Meuse, en passant par la Picardie et la Gironde, jusqu’à l’Assemblée nationale, ce « docu » inédit revient sur la crise des gilets jaunes débutée en 2018 et les plus de 225 000 doléances des Français qui ont suivi. D’un bout à l’autre, on retrouve le maire d’Auger-Saint-Vincent à la rencontre des collectifs de citoyens qui réclament que les textes soient enfin consultables par le plus grand nombre.