Des élus tentent de faire pression sur l’État pour que les cahiers de doléances et les contributions issus du mouvement des Gilets jaunes soient véritablement versés dans le domaine public. Une promesse présidentielle non tenue.
Ce devait être un nouveau « trésor national ». Il y a cinq ans, au cœur de la crise des Gilets jaunes, les Français remplissaient 500 000 contributions en ligne et plus de 19 000 cahiers de doléances dans les communes, pour dire leur exaspération et leur attente en termes de pouvoir d’achat, de démocratie, d’accès aux services publics. Décembre 2018, les maires ruraux avaient lancé une opération « mairie ouverte » pour « écouter la colère ». Début 2019, alors que les cortèges étaient émaillés de violences, le chef de l’État leur emboîtait le pas avec la plateforme du Grand débat national. Un exercice de démocratie directe qui allait réunir deux millions de personnes, une participation inédite depuis la Révolution.
« Par chez nous, les gilets jaunes campaient au rond-point de Chamant, pile en face de l’entrepôt Amazon symbole de la mondialisation des échanges », se souvient Fabrice Dalongeville, maire (SE) d’Auger-Saint-Vincent, 500 habitants. Ici, entre Senlis et Crépy-en-Valois (Oise), la mairie n’avait pas attendu la crise des Gilets jaunes pour ouvrir un « Café citoyen » affublé de la Déclaration des droits de l’Homme. Ce « tiers lieu » accueille des concerts, une épicerie de secours, des tables pour boire un coup, jouer au Scrabble, travailler, refaire le monde. Les cahiers remplis en décembre 2018 et après « sont une matière encore vivante », estime Fabrice Dalongeville. « Mr le Président, faites un effort pour les Français qui sont dans la misère », écrit par exemple cette mère de famille.
« On sentait chez le président une grande tension »
« Début janvier 2019, Emmanuel Macron avait reçu une délégation des maires ruraux où nous devions lui remettre une clé USB avec les doléances de nos habitants. Ça devait durer un quart d’heure. Nous sommes restés deux heures. On sentait chez le président une grande tension, il cherchait comment répondre à la crise qui s’éternisait », poursuit le maire d’Auger-Saint-Vincent. « Puis Emmanuel Macron a pris l’engagement de rendre publiques les doléances dans un format open source », rappelle ce passionné d’histoire, qui a immédiatement fait le lien avec la Révolution avant de prendre une part active dans le suivi des événements. De fait, l’État s’était bien engagé à mettre en ligne contributions et doléances « progressivement et régulièrement sous licence libre. »
Pourtant, cinq ans après, les écrits qui devaient constituer « un patrimoine vivant » ne sont toujours pas accessibles au grand public. Certes, les doléances ont été versées aux archives départementales et sont immédiatement communicables en tant qu’archives publiques, excepté celles dont les auteurs sont identifiables. Sauf que les archives sont un service peu connu, dans lequel il faut se rendre physiquement, et par conséquent souvent fréquenté par les seuls chercheurs.
Seulement quatre consultations en cinq ans dans la Somme
Dans la Somme, seulement quatre personnes ont ainsi demandé à avoir accès aux cahiers abrités à Péronne. Dans l’Oise, les archives n’ont pas répondu à nos questions. Mais le résultat est certainement aussi médiocre. « Les gens ne savent pas où se trouvent les cahiers, et ils n’ont pas souvent une journée entière pour s’y consacrer », relève Hélène Desplanques, auteure du documentaire « Les doléances » où le maire d’Auger Saint-Vincent lui sert de fil rouge. Si ce n’est toujours pas le cas dans la Somme, une grande partie des doléances, près de 80 %, a cependant été numérisée. « Sur un plan technique, rien ne s’oppose à une mise en ligne », s’impatiente Fabrice Dalongeville.
Une vingtaine de députés – majoritairement de la NUPES – n’en pense pas moins. Cinq ans après le lancement du Grand débat national, ce 15 janvier, ils ont déposé une proposition de résolution transpartisane afin que les cahiers soient consultables sur internet. Pour le député de l’Aisne Jean-Louis Bricout (Liberté, indépendants), seul Picard dans ce groupe : « Les gens sont désabusés de la parole politique. » Selon lui, l’enterrement des cahiers est « un mauvais signal de plus. »
Des causeries en février à Senlis et Beauvais autour du documentaire Les doléances
Outre sa diffusion prochainement sur France 3 (Ile-de-France, Grand Est et Nouvelle Aquitaine), le documentaire « Les doléances » d’Hélène Desplanques donne lieu à une série de « causeries », treize au total. La première s’est déroulée le 13 janvier au Café citoyen à Auger-Saint-Vincent (Oise), là où tout a commencé avec son maire Fabrice Dalongeville. Pour la Picardie, deux autres sont programmées : à Senlis (cinéma) le 22 février et à Beauvais (lieu non connu) le 23 février. De la Nièvre à la Meuse, en passant par la Picardie et la Gironde, jusqu’à l’Assemblée nationale, ce « docu » inédit revient sur la crise des gilets jaunes débutée en 2018 et les plus de 225 000 doléances des Français qui ont suivi. D’un bout à l’autre, on retrouve le maire d’Auger-Saint-Vincent à la rencontre des collectifs de citoyens qui réclament que les textes soient enfin consultables par le plus grand nombre.
Nicolas Duchêne est chef opérateur de prises de vues.
Diplômé de La Femis (Ecole nationale supérieure des Métiers de l’Image et du Son) en 2000, il a poursuivi son apprentissage de l’image en tant qu’assistant caméra aux côtés de chefs opérateurs comme Carlo Varini, Katell Djian et Yorgos Arvanitis.
Il travaille en fiction (« Souffler plus fort que la mer », de Marine Place) comme en documentaire (« Que l’amour », de Laetitia Mikles, « La vierge, les coptes… et moi », de Namir Abdel Messeeh)…
Dans un équilibre entre la mise en scène et la spontanéité du moment présent, il cherche à apporter aux films une image vivante, esthétique et à rendre le réel cinématographique sans le trahir,
« Les Doléances » est sa deuxième collaboration avec Hélène Desplanques après « Liquidation totale ».
Le tiers-lieu Le café citoyen d’Auger-Saint-Vincent a pour objet la mise en œuvre de pratiques collectives, participatives et innovantes. Labélisé en 2023 Fabrique de territoire, Le café citoyen favorise le lien social, l’expression de la citoyenneté active et le développement de l’économie locale, sociale et solidaire.
En tant que lieu de convivialité et de sociabilité, Le café citoyen d’Auger-Saint-Vincent promeut la ruralité culturelle. Il sensibilise à la culture, aux arts, au numérique et à l’environnement en proposant divers projections, débats et événements. L’association développe aussi une activité d’édition et de vente de biens culturels. Elle s’inscrit dans le mouvement de l’éducation populaire.
Engagée dans la démarche de rendre public les cahiers de doléances, l’association accueille en 2022 la pièce de théâtre documentaire « Les doléances » en avant première dans les Hauts-de-France, écrite par Hélène Desplanques et mise en scène par Marie Liagre.
En 2024, une nouvelle étape est franchie par la création du site internet les doléances. Sa vocation éditoriale : rendre visible les doléances et celles et ceux qui les ont écrites, susciter le débat, être témoin de son temps, faire preuve d’empathie et de détermination.
Née en 1979, Hélène Desplanques habite à Lille. Elle a suivi des Etudes de lettres, de cinéma et de journalisme, puis a finalisé sa formation par un Master de Réalisation Documentaire de création, à Lussas. Elle a est également diplômée depuis 2019 d’un Master de Direction d’Etablissement Culturel à Paris Dauphine.
Hélène Desplanques est une auteure et réalisatrice de documentaire avec un penchant particulier pour les questionnements sociaux et économiques. Ses films documentaires (« La communauté du 28 », « Liquidation totale », « La cour d’Honneur », « Martine Aubry, la dame de Lille ») ont été diffusés sur France 2, France 3, RTBF, Public Sénat, Planète Justice, TV5 et d’autres chaines.
Auteure et porteuse de projet avec Marie Liagre(Compagnie Atmosphère Théâtre) d’une création théâtrale « On n’est pas que des valises ou l’épopée des salariés de Samsonite !», elle a impulsé et accompagné la formidable expérience artistique, sociale et engagée qu’a constitué ce spectacle et sa tournée de 6 ans (90 représentations) pour les 7 comédiennes-ouvrières de l’usine Samsonite d’Hénin-Beaumont.
Elle a également collaboré à plusieurs reprises avec la revue 21 en écrivant plusieurs grands reportages (notamment sur Esmeralda Romanez et Curtis Roosevelt).
En 2021, « Le Ministère » (13 Prods), filmé dans les couloirs de Bercy, pose la question du pouvoir politique face aux puissances économiques. Il a été diffusé sur Public Sénat et France 3.
En 2022, elle écrit un spectacle de théâtre documentaire : « Les Doléances », avec Marie Liagre à la mise en scène. Le public qui les accueille dans la tournée en Hauts-de-France est unanime: il faut continuer à en parler!
Dans la foulée, elle réalise un film documentaire « Les Doléances » avec 13 Prods, et la participation de France TV.
Elle travaille actuellement au scénario d’un long-métrage de fiction, avec la réalisatrice Marine Place, ainsi qu’à l’écriture d’un long-métrage documentaire : « Notre mer à tous ».
Né en 1966, Fabrice Dalongeville demeure à Auger-Saint-Vincent depuis plus de 30 ans. Après des études secondaires au Lycée Mireille Grenet de Compiègne, il poursuit des études supérieures d’histoire-géographie à Lille 3 puis rejoint rapidement la Sorbonne Paris IV. Après sa maitrise, il s’oriente vers le métier de journaliste et se forme au Centre de Perfectionnement des Journalistes de Paris.
Fabrice Dalongeville démarre son métier de journaliste dans la presse de l’Oise (Le Parisien, co-fondateur de Oise Hebdo) puis rejoint un groupe de presse high tech en 1995. Il y occupe différentes fonctions, du poste de rédacteur à celui de rédacteur en chef. En 2008, après de multiples plans de restructuration depuis l’éclatement de la bulle internet en 2001, il quitte la presse parisienne pour progressivement évoluer vers le métier de consultant en communication. Il crée FD Communication.
Après avoir repris des études à l’IEP d’Aix-en-Provence en 2013 et obtenu un master 2 en intelligence économique, il évolue encore et se spécialise dans le développement et la transition des territoires, notamment ruraux. Il collabore régulièrement avec le cabinet de conseil CoManaging.
En parallèle à sa carrière professionnelle, il a très tôt été engagé dans la vie publique en étant élu conseiller municipal d’Auger-Saint-Vincent au printemps 2001. Il occupera la fonction de premier adjoint à la suite de cette élection pour devenir maire dès mars 2004.
Outre cette fonction, Fabrice Dalongeville a également l’expérience d’un autre mandat : il est élu au Conseil régional de Picardie en 2010 dans une majorité de gauche. En charge du tourisme, ce mandat s’achèvera en 2016. Opposé à la fusion de la Picardie avec le Nord-Pas de Calais, il se mettra en retrait de l’engagement partisan.
Outre son engagement municipal, il est impliqué dans l’Association des Maires Ruraux de France en étant le président de l’association du département de l’Oise. C’est à la suite de l’opération « Mairie Ouverte » qu’il animera en 2018 dans l’Oise qu’il s’engage pour rendre publique les doléances. Cinq ans plus tard, l’engagement ne faiblit pas.
Quels sont les impacts des cahiers de doléances de 2019 ?
À ma connaissance (coupée en janvier 2022), il n’y a pas eu de cahiers de doléances officiels émis au niveau national en 2019 en France, similaires à ceux de la Révolution française. Cependant, certaines collectivités locales ont parfois utilisé des cahiers de doléances pour recueillir les préoccupations des citoyens dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes » ou d’autres problématiques spécifiques.
Si vous faites référence à un événement spécifique en 2019 que je ne suis pas au courant, je vous encourage à fournir plus de détails. En l’absence d’une information précise sur des cahiers de doléances nationaux en 2019, je ne peux pas donner d’informations spécifiques sur les impacts de tels cahiers.
Si vous avez des informations supplémentaires ou une clarification sur le contexte auquel vous faites référence, je serais ravi de vous aider autant que possible.
A proximité du rond-point de la Croisière à quelques encablures de Saint-Amand-Magnazeix, une cabane « Gilets jaunes » est toujours en place, installée sur un terrain privé.
Elle est discrète, à peine perceptible depuis la voiture. C’est vrai qu’à la sortie du rond point on accélère, on est plutôt concentré sur la route vu le volume de poids lourds qui circulent sur cet axe. D’ailleurs, Hélène et Nicolas ne l’avaient pas aperçue. Je crie « des gilets jaunes » comme si la terre inconnue apparaissait devant mes yeux, et fais demi-tour un peu plus loin. On revient sur les lieux et on trouve à se garer à proximité.
Les messages sont là : la pauvreté tue; Liberté Egalité Fraternité; RIC; votez justice sociale et fiscale. Un peu plus loin, on peine à déchiffrer les différentes épaisseurs de messages, la sédimentation de la lutte à ses effets. En observant un peu plus encore la cabane, on distingue un conduit de cheminée, marque que l’hiver 2018/2019 n’est pas sans effet sur les corps, même pour les tempérament les plus en colère. Devant le baraquement, un fût de 100 litres est posé. La peinture extérieure n’est plus là, à force de bruler les dizaines de stères de bois. On observe des morceaux de bois secs, comme si l’essentiel était déjà là, prêt à de nouveau entrer en service, une allumette plus tard…
Pierre est un modéré. Il est fils d’agriculteur et il sait qu’il doit beaucoup à la République. Il participe à chaque scrutin depuis qu’il en a la possibilité. Il admet avoir une bonne situation qui, par décence, ne l’a pas conduit sur un rond point. Pour autant…
Nous sommes à Langeas, dans un joli pavillon d’à peine trois étés. L’accueil est simple, chaleureux. Pierre a fait sa carrière à la chambre de commerce et d’industrie de la Creuse. Les bureaux sont à Gueret. Pierre n’est pas un révolutionnaire, il participe activement à la vie économique de sa région tout au long d’une carrière bien remplie. Avec sa femme enseignante en français, ils élèvent leurs enfants et aujourd’hui ont la joie de s’occuper de leurs petits enfants. Quand Pierre lit sa doléance, inutile d’engager un débat pour comprendre les sous-entendus. Tout est clair, limpide.
En voici le texte. Je n’ai pas voulu extraire de passages significatifs, j’ai voulu la livrer dans son jus. Dans les doléances, il n’y a pas que l’expression de la colère, du malaise social. Il y a aussi des témoignages de citoyens qui observent que dans la pratique du pouvoir, les vieux réflexes des privilégiés ont la vie dure. Les choix idéologiques creusent un peu plus encore les fractures sociétales. Quand Pierre parle de la République, il convoque son triptyque : liberté, égalité, fraternité. Rien ne va si l’une est placée au coeur de l’action politique au détriment des autres.
« Je ne suis ni historien, ni intellectuel, ni riche, ni pauvre, ni politisé, je suis comme beaucoup, un citoyen qui m’implique dans la cité et qui vote, enfin quoi ? Un homme normal. Je voyage, je lis, je jardine, j’ai une famille, des enfants et petits-enfants, je me suis toujours satisfait d’un revenu correct, je ne me lamente pas si je n’ai pas de bateau et par solidarité je suis ravi de payer des impôts, je parle aussi quelquefois à des analphabètes, à des sans dents, je les respecte car ils ont des choses à me dire. Je me considère bien sûr faisant partie du peuple et surtout de ce peuple mal considéré, j’en suis fier et contrairement à l’idée bien-pensante, je ne veux pas être classé comme un populiste. Par ailleurs, je reconnais très volontiers que je préfère, de loin, vivre en France plutôt qu’ailleurs dans le monde, mais ce n’est pas pour autant que je trouve que tout est convenable dans notre pays, bien au contraire.
J’ai voté Emmanuel Macron dès le premier tour pour chasser cet ancien monde qui avait abandonné le pouvoir politique au pouvoir économique, à la finance entre autres… et ne s’occupait que de politique politicienne. Le discours ni gauche ni droite m’a séduit. Pour information, j’avais déjà voté François BAYROU.
Au début, j’ai voulu faire confiance aux premiers de cordée mais j’ai très vite compris que contrairement à la pratique de l’alpinisme, les gens riches ne regardaient jamais derrière et qu’ils ne seraient pas reconnaissants envers notre Président et qu’ils ne feraient aucun geste pour créer de l’emploi. Résultat, la politique menée n’a fait qu’amplifier la méthode du vieux monde et pire, le mensonge et l’arrogance ont conduit à la révolte. Pour se faire élire, on propose la suppression de la taxe d’habitation et pour la compenser on augmente les carburants au nom de la transition écologique.
Je suis fils d’agriculteur, je dois dire merci à la République qui m’a permis par l’obtention de bourses d’accéder à des études supérieures et ainsi m’offrir une situation professionnelle convenable. Aujourd’hui, retraité, je prétends faire partie de ceux qui ont une aisance modeste et donc par décence je ne porte pas le gilet jaune mais je comprends leur situation, même si je condamne les excès en tout genre. Je dois dire que je suis davantage choqué par le mensonge d’un député qui ment les yeux dans les yeux sur les bancs de l’Assemblée Nationale (En gras dans le texte).
Je pense que les gilets jaunes ont faim et ne supportent plus que les donneurs de leçons mangent trop bien. Au début du mouvement, ils réclamaient uniquement de la justice fiscale. Une réponse instantanée, digne et honnête aurait permis d’apaiser le conflit. Maintenant ils veulent davantage : un débat social et même tout changer, à l’image du RIC, de la limitation de vitesse, du mariage ouvert à tous… Toutes ces revendications sont louables mais je crains que l’on ne s’attarde sur ces demandes et que l’on ne réponde pas à la vraie question sous-entendue au début des manifestations à savoir dans quel monde voulons-nous vivre ?
Depuis 1792 et ensuite 1848, les idées de liberté et d’égalité puis de fraternité en France ont façonné un modèle de société qui a fait notre identité et notre unité. Pourquoi devrions-nous en changer pour vivre dans un modèle anglo-saxon? Je reconnais que dans la mondialisation, les riches ont tout à y gagner mais les pauvres ont tout à y perdre.
Dans notre histoire, il y a un interlocuteur qu’il va falloir tenter de joindre : c’est le Président de la République Française. Ça tombe bien, on peut lui envoyer un message en ligne…
Bon, maintenant, on appelle l’Elysée », tance Hélène. « Mais je n’ai pas le numéro de téléphone », dis-je un peu décontenancé. Je vais regarder sur Internet… »
Quelques secondes plus tard, je livre le fruit des résultats de ma requête sur Google. En première ligne ressort « écrire mon message – Elysée ». Sacré référencement. Ni une ni deux, me voilà lancé dans le remplissage des cases du formulaire en ligne. Avec, en premier niveau, une première orientation : souhaite-je écrire au Président de la République ou à Madame Brigitte Macron ? Evidemment, je n’ai pas hésité à choisir le récipiendaire de ma future missive.
Pour autant, j’ai été tout de même surpris de voir en premier niveau le choix entre le Président et sa femme. Pour ne rien cacher, je ne trouve pas cette option bien placée car elle hisse la compagne du Président qui rappelons-le aucune fonction prévue dans la constitution au même niveau que le Président de la République. Certains diront que je chipote. Passons.
Une fois ce moment passé, je me lance dans le remplissage du formulaire en ligne. L’ergonomie est simple et fonctionnelle. On passe par le : nom, prénom, adresse, etc. Je dois choisir la raison pour laquelle j’écris en restant l’une des différentes options. Je procède par élimination et je finis par retenir « question d’actualité ».
Le temps du texte arrive. Il y a un espace suffisamment large en nombre de signes pour dire l’essentiel. A ce moment là, je ne pense même plus à la caméra. Je suis dans la salle du conseil municipal, avec, dans le dos, le portrait du Président de la République. Il est un peu trop loin pour pouvoir lire le contenu de mon claviardage. Je n’ai pas pris le temps de faire un brouillon, de murir la forme et le fond. J’ai simplement écrit pressé par le temps qui tourne lorsqu’on ouvre un formulaire en ligne.
Bonjour monsieur le Président de la République,
j’aimerai vous rencontrer pour évoquer le sujet des cahiers de doléances, des doléances écrites par des millions de Français entre décembre 2018 et avril 2019. Je me permets d’utiliser cette boîte de contact direct, comme celle que je propose aux habitants de mon village, pour faciliter les prises de rendez-vous…
Voilà bientôt 5 ans qu’une forme singulière de contestation sociale a émergé dans notre pays à travers l’expression des gilets jaunes. Dans son sillage, des centaines de milliers de doléances ont été rédigées.
En ce qui me concerne, en qualité de maire d’une commune rurale, Auger-Saint-Vincent, l’implication dans l’ouverture des cahiers de doléances a démarré le 8 décembre 2018. Quelques semaines plus tard, en janvier 2019, je faisais partie de la délégation de maires ruraux qui vous a remis les cahiers de doléances issus de notre opération Mairies ouvertes. Nous nous sommes rencontrés un peu plus tard, lors du grand débat, le 29 mars 2019 (jour de mon anniversaire), dans les salons d’honneur de l’Elysée.
Une fois ces éléments précisés, je vous adresse plus directement ma requête.
Je considère en effet que vous n’avez pas tenu votre engagement dans la promesse de rendre public et accessible l’ensemble des doléances pensées puis rédigées par nos concitoyens. Dans mon village, quand un habitant qui a déposé une doléance me demande s’il peut la consulter facilement, je suis contraint de lui dire que non !
Votre décision de confier aux archives départementales les doléances ne répond en rien à votre promesse. Soit votre décision n’a pas été respectée. Ce qui soulève des questions dans l’exécution d’une injonction présidentielle, soit cela confirme le fait que vous le souhaitiez. Dans les deux cas, il est temps de revenir sur cette situation.
J’espère que vous prendrez la mesure de cette décision qui ne participe pas au recouvrement d’un climat de confiance dans notre pays.
Dans l’attente de vous lire, ou de vous entendre, je vous assure de mon profond respect républicain.
Fabrice Dalongeville
maire d’Auger-Saint-Vincent
président de l’Association des maires ruraux de l’Oise
Je relis une fois à voix haute pour les besoins de la réalisation et je respecte les indications du formulaire. Malgré plusieurs tentatives, je n’arrive pas à envoyer le document. Rien n’y fait. Par précaution, je copie le texte dans Evernote. Bien m’en a pris, une fois relancée la procédure se remet à jour sans enregistrement. Il faut donc tout reprendre depuis le début. Je renseigne de nouveau les éléments demandés puis copie colle mon texte. Je pense ici à ces millions de français qui font face à l’e-administration et perdent si rapidement patience devant la complexité sidérale de la modernité numérique bureaucratique ! Cette nouvelle tentative est cette fois la bonne. Mon formulaire est parti à l’Elysée. Nous sommes le 9 juin, en milieu d’après-midi.
Ah j’oubliais. En parcourant la page d’accueil du Président, je tombe sur la lettre de l’Elysée. Intitulé Cocorico, la lettre de l’Elysée, se propose de m’envoyer « un condensé de bonnes nouvelles et d’initiatives citoyennes qui font rayonner la France. » De bon augure pour ma requête.
« Bonjour, je vous appelle au sujet des cahiers de doléances. Je voudrai échanger à ce propos avec vous pour vous présenter ma démarche et vous proposer de nous soutenir… »
Comment aborder un sujet avec des parlementaires qui ne sont pas de mon département ? Comment ces derniers vont-ils accueillir une requête d’un maire qui n’est pas de leur circonscription, de leur département ?
Ces premières interrogations me laissent quand même assez dubitatif sur la façon dont mes futurs interlocuteurs me recevront. Avant cela, j’aurai déjà une première indication avec un rendez-vous que Hélène a préparé en amont, en relation avec Marie Tondelier, la responsable (à voir le nom) d’Europe Ecologie les Verts. Comment ces deux femmes se connaissent-elles . Marie Tondelier est une élue et militante installée à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, l’une des communes qui a à sa tête une majorité FN-RN. De son côté, Hélène soutient et participe à l’animation d’une troupe de théâtre qui évolue dans cette ville. C’est aussi ici que le travail autour des Samsonite s’est noué et a donné lieu à plusieurs créations, notamment le documentaire éponyme.
« Fabrice, tu vas avoir ce matin une députée écologiste de la Drome, Marie Pochon. Marie Tondelier me l’a conseillée car elle sera sensible au projet sur les doléances. Ne t’inquiète pas, tu pourras parler en confiance ».
« Bonjour, je vous appelle au sujet des cahiers de doléances. Je voudrai échanger à ce propos avec vous pour vous présenter ma démarche et vous proposer de nous soutenir… »
Comment aborder un sujet avec des parlementaires qui ne sont pas de mon département ? Comment ces derniers vont-ils accueillir une requête d’un maire qui n’est pas de leur circonscription, de leur département ?
Ces premières interrogations me laissent quand même assez dubitatif sur la façon dont mes futurs interlocuteurs me recevront. Avant cela, j’aurai déjà une première indication avec un rendez-vous que Hélène a préparé en amont, en relation avec Marie Tondelier, la responsable (à voir le nom) d’Europe Ecologie les Verts. Comment ces deux femmes se connaissent-elles . Marie Tondelier est une élue et militante installée à Hénin-Beaumont, dans le Pas-de-Calais, l’une des communes qui a à sa tête une majorité FN-RN. De son côté, Hélène soutient et participe à l’animation d’une troupe de théâtre qui évolue dans cette ville. C’est aussi ici que le travail autour des Samsonite s’est noué et a donné lieu à plusieurs créations, notamment le documentaire éponyme.
« Fabrice, tu vas avoir ce matin une députée écologiste de la Drome, Marie Pochon. Marie Tondelier me l’a conseillée car elle sera sensible au projet sur les doléances. Ne t’inquiète pas, tu pourras parler en confiance ».
Monsieur de Courson,
Monsieur le député, je vous envoie ce mail suite au conseil de votre attachée parlementaire que j’aie eu au téléphone ce matin. Je suis maire d’un village de l’Oise, Auger-Saint-Vincent, et président de l’Association des maires ruraux de mon département.
Depuis 2019, je m’intéresse de près aux cahiers de doléances qui ont été rédigés par bon nombre de nos concitoyens et y compris dans mon village. Malgré les engagements du Président de la République, ces doléances ne sont pas vraiment accessibles au grand public. Pire, dans certains cas, elles ne seront accessibles que dans un délai de 50 ans.
Au regard de l’importance historique que les doléances occupent dans notre pays, je me suis décidé à engager une action pour placer l’Etat devant ses responsabilités. J’ai assez rapidement pensé à vous au regard des dernières prises de paroles que vous avez tenues lors de la réforme des retraites, notamment en évoquant une « crise démocratique ».
Je profite de ce moment pour envoyer un SMS à un sénateur de l’Oise que je connais.
SMS à Jérome Basher, sénateur de l’Oise : J’aimerai vous parler de vive voix de mon projet et vous proposer de m’aider dans cette démarche. Je suis à votre disposition pour venir à Paris, ou dans votre permanence. Etant dans l’Oise, ce n’est pas très loin. Dans l’attente, je vous adresse mes respectueuses salutations républicaines. Bien à vous. Fabrice Dalongeville. Maire d’Auger-Saint-Vincent. Président de l’association des maires ruraux de l’Oise.