La Tribune du 15 avril 2024

Dans son édition du 15 avril 2024, le journal Le Monde publie notre tribune, cinq ans jour pour jour après l’incendie de Notre Dame. C’est aussi ce même 15 avril 2019 que le président aurait dû exercer son devoir de suite, après le Grand débat et la crise des Gilets jaunes.

Le 15 avril 2019, le président de la République Emmanuel Macron devait prendre la parole à la télévision pour exercer un « devoir de suite » après avoir organisé le grand débat national. Malheureusement, l’incendie de la cathédrale Notre Dame a empêché ce moment clé d’avoir lieu et éloigné la promesse présidentielle de rendre public les cahiers de doléances. Cinq ans plus tard, où en sommes-nous ?

Notre Dame est sur le point de retrouver son lustre d’antan. Quant aux doléances des Français, qui sont aussi un « trésor national », elles n’ont toujours pas fait l’objet d’une grande restitution nationale. Pourtant, se rendre dans l’une des 101 archives départementales et plonger dans les cahiers de doléances de 2019 est une véritable cure de jouvence démocratique.

C’est tout un peuple qui s’exprime là : on y trouve des propositions sur la démocratie, la santé, les dépenses publiques et la transition écologique mais aussi l’exigence d’en finir avec l’inégalité des salaires, l’aspiration à une fiscalité juste, des appels sensibles et sensés à des services publics qui redeviennent les garants de l’égalité et de la justice, mais également des récits de vie poignants, des cris de détresse… C’est le témoignage d’un territoire vécu qu’il est urgent d’entendre, sans attendre, puisque d’une certaine manière, il constitue un « programme politique idéal pour les Français ».

Aujourd’hui, l’accessibilité à ces doléances et aux idées qu’elles véhiculent ne sont pas données aux femmes et aux hommes qui les ont rédigés.

A l’ère du numérique, la médiation pour accéder à l’information et se l’approprier est un pilier fondamental de notre démocratie.

Une plateforme digitale qui permette une lecture à l’échelle du pays.

A l’ère du numérique, la médiation pour accéder à l’information et se l’approprier est un pilier fondamental de notre démocratie. Attachés aux valeurs de transparence et d’égalité d’accès aux archives publiques, qui sont nécessaires à la confiance entre les citoyens et les élus, mais aussi au devoir de redevabilité et de mémoire, nous plaidons pour la mise en ligne des doléances sur une plateforme nationale. Une plateforme digitale qui permette une lecture à l’échelle du pays, d’un département ou même d’une commune.

L’accessibilté de ce corpus n’est pas anecdotique : c’est la condition pour exploiter ce creuset démocratique fort de 19 899 cahiers citoyens contenant 217 910 contributions individuelles. Les doléances, ce sont aussi les 15 420 courriers et emails, autant de contributions individuelles déposées directement à l’Elysée ou à Matignon, mais également les comptes rendus des travaux locaux menés lors des 11 258 réunions d’initiative locale. Garantir l’accessibilité à ces milliers de contributions, ce sont les reconnaître à leur juste valeur : c’est rendre sa dignité à la parole citoyenne.

En France, tout ce qui s’imprime est déposé à la Bibliothèque nationale. Nous plaidons donc pour que tout ce qui s’exprime dans le cadre de débats participatifs et citoyens soit déposé dans une « bibliothèque » du débat public. C’est possible en hébergeant l’ensemble de ces paroles citoyennes dans une « base de données du débat public »accessible via une plateforme numérique open source. C’est la condition première pour que la promesse du Grand Débat soit enfin tenue.

Comme c’est le cas en Gironde, département précurseur à l’initiative du président Jean-Luc Gleyze, les conseils départementaux peuvent aussi s’en saisir, financer des chercheurs, et faire eux-mêmes le travail de numérisation, d’analyses et de mises en ligne. Mais l’élan doit être national.

Parce que la démocratie n’est pas un coût, mais une nécessité pour que vive la République, l’Etat doit y pourvoir en finançant cette plateforme et la recherche publique auprès des archivistes, pour que chacun puisse prendre connaissance de l’intégralité du corpus et, via des outils de navigation, mener une recherche personnelle.

Parce que la démocratie n’est pas un coût, mais une nécessité pour que vive la République.

Nous, les citoyens qui avons écrit ces doléances ; nous, les communes qui avons ouvert ces cahiers dans nos « mairies ouvertes » ; nous, les départements qui les avons conservés ; nous toutes et tous, les acteurs de la démocratie sociale, lançons cet appel à rendre aux citoyens la parole qui leur a été confisquée.

Auteurs :

Fabrice Dalongeville, maire d’Auger-Saint-Vincent (Oise), est consultant indépendant dans le développement et la transition des territoires, notamment ruraux. Il est co-fondateur du tiers-lieu culturel Le Café citoyen créé dans son village. Il anime l’Association des maires ruraux de l’Oise.

Hélène Desplanques est auteure et réalisatrice. Elle a signé une dizaine de films documentaires, dont « Le Ministère » (13 Prods – 2021) filmé dans les coulisses de Bercy. Avec son dernier film « Les Doléances » (13 Prods), elle met en valeur la puissance démocratique des écrits citoyens de 2019.

Gilles Proriol, directeur de la société COGNITO et expert en analyse de la parole citoyenne, fut l’un des principaux artisans de l’analyse des cahiers citoyens pour le Gouvernement en 2019. Il a témoigné de cette expérience dans « La démocratie, autrement » (avec F. Escoubes, Ed. de l’Observatoire)

Les premiers signataires (ordre alphabétique)

Fabien Bazin, Président du Conseil Départementale de la Nièvre ; Sophie Borderie, Présidente du Conseil Départemental de Lot-et Garonne ; Christophe Bouillon, président de l’Association des Petites Villes de France ; Philippe Bouty, Président du Conseil Départemental de Charente ; Christian Coail, Président du Conseil Départemental de Côtes-d’Armor ; Philippe Dupouy, Président du Conseil Départemental du Gers ; Michel Fournier, président de l’Association des Maires Ruraux de France ; Jean-Luc Gleyze, Président du Conseil Départemental de Gironde ; Chaynesse Khirouni, Présidente du Conseil Départemental de Meurthe et Moselle ; Jean-Claude Leblois, Président du Conseil Départemental de Haute-Vienne ; Patrick Molinoz, vice-président de l’Association des maires de France; Sophie Pantel, Présidente du Conseil Départemental de Lozère ; Christophe Ramond, Président du Conseil Départemental du Tarn ; Hélène Sandragné, Présidente du Conseil Départemental de l’Aude ; Christine Téqui, Présidente du Conseil Départemental de l’Ariège ; Sébastien Vincini, Président du Conseil Départemental de Haute-Garonne ; Michel Weill, Président du Conseil Départemental du Tarn-et-Garonne