La Voix du Nord, samedi 27 janvier 2024.
Ce fut une parole donnée au citoyen. Une parole ensuite réduite au silence des archives. Et pourtant, cette parole écrite dans les cahiers de doléances de 2019 est un reflet inédit de notre société. Hélène Desplanques, réalisatrice lilloise, lui redonne vie dans un documentaire. Ça s’appelle Les Doléances. Et ça « répare une injustice ».
C’était un peu la révolution. La démocratie ouverte à tous, la parole donnée enfin au citoyen, alors que le jaune fluo brillait sur les ronds-points comme une colère qui voulait se faire voir. C’était en 2018, décembre. Les maires ruraux sentent que « ça va craquer et prennent l’initiative d’ouvrir des cahiers de doléances dans leurs hôtels de ville. En janvier 2019, ils vont à l’Élysée avec des clés USB contenant les doléances recueillies dans leurs mairies. Quinze jours plus tard, Emmanuel Macron lance le grand débat : des réunions, une plateforme numérique et des cahiers de doléances dans toutes les communes qui le souhaitent », rappelle Hélène Desplanques. 19 000 cahiers sont ouverts partout en France, 200 000 contributions manuscrites y figurent.
Pour « une vie plus digne, des services publics accessibles à tous »

Hélène Desplanques décide de consulter d’autres cahiers d’autres départements. De rechercher certains des contributeurs, de les contacter. Le documentaire est né. Son personnage fil rouge : « Un maire de l’Oise, Fabrice Dalongeville du village d’Auger-Saint-Vincent, qui fait le tour de France des initiatives liées aux doléances. Je me suis rendu compte qu’il se battait depuis le début pour que les cahiers de doléances ne tombent pas dans l’oubli. » Sa conclusion : « On se rend compte au travers des doléances, qu’il y a une vraie appétence pour la chose politique. » Une vraie appétence pour les propositions concrètes et de bon sens. Pour « une vie plus digne, des services publics accessibles à tous, une société plus égalitaire… »
Les gens étaient contents que ce soit pris en compte. C’était une façon pour moi de réparer quelque chose.
La plupart des contributeurs qu’Hélène Desplanques a appelés pour le documentaire étaient ravis de pouvoir s’expliquer sur leur texte. « Les gens étaient contents que ce soit pris en compte. C’était une façon pour moi de réparer quelque chose. C’est un don citoyen de prendre du temps pour écrire, et il n’y a pas eu de contre-don de la part de l’État. Et ça, ça abîme la démocratie. C’est pour ça que j’ai fait ce film, pour faire ma part, réparer. »
« Les Doléances » sera diffusé sur France 3 Hauts-de-France (et de plusieurs autres régions) le 8 février à 23h. Des projections-débat sont également organisées. La prochaine aura lieu le 9 février à Bachant. Programme sur lesdoleances.fr.
Ce qui « obnubilait » les Français en 2019

C’est aux archives départementales que les milliers de contributions des Français sont consignées dans des kilomètres de rayons. Ces cahiers de doléances remplis puis archivés la même année, en 2019, sont consultables par tous. Pourtant, aux archives départementales du Nord, seules trois personnes ont demandé à les voir : Hélène Desplanques, réalisatrice du documentaire « Les Doléances », une autre documentariste, et nous…
Il suffit d’y jeter un œil pour s’apercevoir que les textes, souvent écrits à la main, contiennent un condensé de ce qui était important à ce moment-là pour les gens, ceux qui ont fait l’effort d’apposer leur plume dans ces cahiers. « L’une des propositions qui revient le plus souvent, c’est la remise en place de l’Impôt sur la fortune », note Hélène Desplanques. On trouve aussi, pêle-mêle, des demandes d’indexation des retraites sur le « coût de la vie », de « logement décent pour tous les citoyens modestes », de création d’une chambre citoyenne à côté de l’Assemblée nationale et du Sénat… « La violence et l’immigration concernent moins de 5 % des contributions », précise Hélène Desplanques. B. B.

Dans le cahier de doléances de Bachant, dans le Nord, une contribution a particulièrement ému Hélène Desplanques. C’est celle de Patricia et Pierre Durin, un poème, que nous avons retrouvé aux archives : « Nous sommes le sol sur lequel vous marchez, Vous êtes de plus en plus nombreux et lourds, de plus en plus lourds. Ça ne peut pas durer. On va se soulever ou s’effondrer. Et c’est vous qui allez tomber de haut, pas nous, puisque nous sommes le sol sur lequel vous marchez… » B. B.