Le burnout des élus locaux

12 mai 2023

Pourquoi continuer de s’engager pour le bien commun ? A quoi cela sert-il de mal dormir, de s’angoisser, d’imaginer le pire, de se ressaisir, de ne pas renoncer, d’anticiper l’espoir d’être soutenu par « Le Préfet ». Cet héros des temps anciens républicains au costume désuet et bien trop encombrant aujourd’hui. Ça dégaine de l’arrêté contre les mauvaises personnes…  

Elle tombe bien cette assemblée générale des maires ruraux de France à Lyon. Je m’apprête à y aller avec en tête les maux du moment : démission d’un collègue maire qui est devenu la cible de l’extrême-droite ; les 48 heures de discussions à l’Assemblée nationale pour savoir s’il était de bon usage d’obliger d’accrocher le Président de la République dans la mairie et s’il était pertinent de pavoiser le fronton de la maison commune avec le drapeau européen. 

Des moments qui se  télescopent et qui en disent finalement long sur les conditions dans lesquelles la République se vit, se délite et finalement peut arriver à fatiguer ses premiers serviteurs. 

« J’imagine que ça doit te rendre dingue », me glisse Hélène dans son sms du matin. Elle fait échos de la « une » de Libération avec le maire de Saint-Brevin. Derrière lui, sa voiture calcinée et visiblement le mur de son garage lui aussi noirci par la haine des néo-fascistes à l’encontre d’un élu de la République. Je ne connais pas Yannick Morez. Il ne s’attendait certainement pas à faire la couv de Libé un jour. 

« Abandonné par la République » titre le quotidien. Les mots sont forts et percutants. Ils assènent une certaine vérité chez les élus. Oui, nous avons parfois le sentiment que la République n’est plus aussi présente que veulent bien le dire les ministres de l’intérieur, les secrétaires d’Etat aux collectivités territoriales. Ou, le Président de la République qui se fait gorge chaude pour évoquer l’engagement des maires, élus encore préférés des Français.

Mais à y regarder de plus près, chacun sait bien que ce que les habitants des villes et villages apprécient dans leur maire, c’est la proximité à la fois dans l’action et dans la présence. Peu sont en capacité d’apprécier le rôle du maire en qualité de représentant de l’Etat, de nourrir un regard critique sur la qualité de la relation entre l’édile et la République. Nos concitoyens n’en perçoivent que les revers : fermeture des services publics, sentiment d’abandon, réforme territoriale avec des ensembles toujours plus grands, digitalisation des relations administratives, disparition de la médecine de proximité, etc. « Je n’aimerai pas être à votre place », entend-on souvent. 

Dans l’auditorium du bâtiment régional de Groupama, l’ambiance est studieuse. La centaine de délégués des associations départementales de maires ruraux sont attentifs aux différentes interventions. Quand arrive une équipe de journalistes de LCI/TF1. Sans connaître la raison, on comprend vite que le sujet doit être en relation avec les « unes » du moment : la violence à l’encontre des élus. Outre l’expression d’un soutien, le Président de l’AMRF Michel Fournier prend l’initiative – presque improvisée – de déclarer que les maires une fois élus devraient porter serment (à préciser comment) pour symboliquement sacraliser leur mission auprès de leurs concitoyens. 

Dans les couloirs et lors des repas, les langues se délient : oui, moi aussi, j’ai été insulté, j’ai vu des lettres anonymes, menaçantes. Toutes les agressions verbales et parfois physiques ne sont pas visibles. Les collègues ne font pas tout le temps publicité. Même lors de l’AG, personne n’a cru bon d’intervenir pour engager un débat sur les violences aux élus. Que faut-il comprendre de cette mise en distance ? Un syndrome du « bon maire » qui ne peut-être qu’apprécié par ses concitoyens ? Un aveux de tension insupportable à partager avec ses collèges ? (À compléter).

Pour ma part, je n’ai pas encore eu à faire face à une agression physique. Lettres anonymes oui, à chaque élection, qu’elles soient municipales, départementale, régionale ou nationale. Je ne les garde pas. Je peine même à m’en souvenir. Ce dont je me rappelle, c’est que les contenus ne sont pas très argumentés, voire même assez creux. Ils traduisent tous un manque de courage, notamment pour se présenter aux élections et assumer une charge lourde.

Dans la charge mentale de la violence, on sait que la prise de parole est difficile, complexe et parfois source de malentendus. La démultiplication des outils de communication digital permet d’entretenir une réputation aussi bien positive que négative. Le droit à l’oubli est balbutiant et l’écho des traces numériques restent tenaces. 

Outre cette situation de tension, la presse s’est aussi faite le relai des 48h de débat parlementaire autour de l’obligation d’accrocher la figure du Président de la République dans les mairies et d’associer, par la même occasion, sur le fronton de la maison commune, le drapeau européen. 

Là encore, les mêmes aveuglements, les mêmes approximations, les mêmes désillusions. Et le résultat : outre l’obligation pour toutes les communes, quelle que soit leur taille, d’accrocher Jupiter, seules les communes de plus de 1 500 habitants auront l’obligation d’arborer le drapeau étoilé symbole de paix sur le Vieux Continent. Les autres, ça sera à la discrétion des édiles. 

Le parallèle entre les deux situations me saute aux yeux : la boussole républicaine est vraiment déréglée. Elle n’a plus ses repères. Comment la représentation nationale peut-elle majoritairement acceptée de distinguer des mairies par le seul seuil démographique ? J’avoue ici mon incompréhension, ma stupéfaction devant une telle imbécilité politique. 

Lors de l’assemblée générale, j’ai pris pris la parole pour demander que l’AMRF revendique cette idée simple : toutes les communes sont égales, petites ou grandes, bien gérées ou mal gérées, classées ou non, stéphanebernisées ou non, etc. 

La première blessure que l’État français entretient, c’est ce sentiment d’une République à plusieurs vitesses, dans un espace européen décrié, critiqué, responsable de tous les problèmes que les uns et les autres rencontrent et subissent. 

Non, il n’est pas question de seuil démographique pour revendiquer l’appartenance à l’Europe. S’il s’agit de rendre obligatoire la présence du drapeau européen, alors toutes les communes doivent être logées à la même enseigne. Une motion portée par l’AMRF est actée.

On va bientôt reparler du statut de l’élu. 

C’est (trop) politique

4 mai 2023

Pourquoi ont-ils honte de dire que l’action publique est un acte politique ? Pour quelles raisons vide-t-on de son sens le mot « politique » ? Pourquoi faudrait-il apporter des réponses concrètes à des défis politiques complexes ? 

C’est sans doute l’une des réflexions les plus courues dans la vie locale. « Ici, on ne fait pas de politique ». On travaille dans l’intérêt général. Mais quand on entend cette expression au plus haut sommet de l’état dans la bouche même du Président de la République, ça en dit long sur l’état de décomposition de la République française. Le 15 décembre 2021 dans une émission politique, Emmanuel Macron exprime sa pensée du moment : « Je ne fais pas de politique ». Ça sera repris tel quel par les journaux. Je ne sais pas vous, mais il y a tout de même de quoi s’étrangler. Mais comment en est-on arrivé là : par cynisme, par démagogie, par calcul politicien ? 

Cette expression m’a toujours été insupportable. Faire croire que l’action publique n’est pas politique, c’est comme assurer que le grand remplacement est en cours, ou que les jeunes n’aiment pas travailler, que les vieux ne sont que des réactionnaires et que l’homosexualité est une maladie contagieuse. Ne me dites pas de quelle famille politique vous vous revendiquez, montrez-moi vos actions et nous pourrons l’établir.  

Par expérience, les premiers à revendiquer cette non appartenance sont bien souvent de vrais conservateurs, toujours frileux d’assumer leur propre sensibilité politique. Mais au-delà de ce faux nez, ce que cette expression traduit c’est l’état de déliquescence du personnel politique en responsabilité. 

Un fonctionnaire, un haut-fonctionnaire, lui ou elle, peut assumer de dire qu’il ne fait pas de politique. Il est au service d’élus locaux, départementaux, régionaux et nationaux qui eux, font de la politique. Ils ont été élus pour ça, avec un programme dans le meilleur des cas (je n’entre pas dans le débat de la qualité du dit programme). 

A force de manipuler des clichés, on fabrique la mal pensée. C’est Annah Arendt qui éclaire sur cette question de façon magistrale. A force de partager des clichés, on fabrique du vide à pensée. En y ajoutant de la novlangue, on finit par entendre un gloubiboulga inqualifiable, dégoulinant de la certitude, en mode répétition pour s’en convaincre. Ici, ce n’est pas de la fake news. C’est finalement pire. C’est un faux nez qui préserve les intérêts des rentiers, toutes celles et ceux qui ont un intérêt à ce que rien